Madame ROZENBAUM ALBERT, le 21 Novembre 1944
Chez Monsieur VADUREL
17 Rue de Bapaume, ALBERT (Somme)
Monsieur le Préfet,
Je prends la liberté de soumettre à votre bienveillante attention, l’examen de ma situation.
Jusqu’en 1940, j’exploitais à ALBERT, rue Gambetta, un fonds de commerce de nouveautés pour dames, dénommé “Au Chic de Paris.” De race juive, j’ai dû abandonner mon exploitation, après avoir été internée par les Allemands à Amiens. Je me suis refugiée à PARIS, où se trouvaient mon Mari et mes deux enfants. A la suite de nouvelles perquisitions, nous sommes partis en zone libre: arrêtés à la ligne de démarcation, nous avons été internés à BIARRITZ; nous avons réussi à sortir de prison, et nous sommes refugiés à PAU. Pendant notre seconde incarcération, les Allemands nous ont volé tous nos fonds disponibles, que nous possédions.
Notre séjour à PAU s’est passé sans incidents jusqu’à l’arrivée des Allemands, où notre vie traquée a recommencé. Pour éviter la déportation, mon Mari a dû fuir en Espagne; de là il a gagné le Maroc, et actuellement il est mobilisé à MEKNES.
Dès que j’ai eu quitté ALBERT, un administrateur a été nomme pour gérer mon fonds de commerce (M. RABACHE, à SAINT QUENTIN, précédemment IFg de Bretagne, PERONNE); le fonds a été vendu par le ministère de Me WATELAIN, Notaire à ALBERT, à Monsieur GIMBEL, qui se trouve actuellement dans le fonds vendu.
Vous voudrez bien remarquer que dans cette affaire, je n’ai pas donné accord pour la vente, et je n’ai évidemment absolument rien touché, ni sur la vente du fonds, ni sur les marchandises qui se trouvaient dans le magasin.
Actuellement, l’acquéreur ne veut pas quitter les lieux; de mon côté, je me trouve sans situation; fortune perdue puisque volée par les Allemands, donc sans ressources; aucun logement: des amis m’hébergent, maïs cette situation ne peut se prolonger indéfiniment.
Je vous serai donc très obligée de bien vouloir me faire connaître si vous pouvez intervenir dans cette affaire, et de m’indiquer si je puis requérir l’expulsion de l’acquéreur du fonds de commerce.
A titre indicatif, je vous signale que mon Mari était engagé pendant la guerre de 1914-1918, qu’il a été mobilisé en 1939, jusqu’à l’armistice.
Je vous remercie à l’avance de l’examen que vous voudrez bien apporter à cette question, et dans l’espoir d’une réponse favorable, je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de ma considération très distinguée. B. Rozenbaum
Source : AJ 38 5073/2483