Dans les années 1940, le peintre/verrier amiénois Pierre PASQUIER (1906-1971) exécutait une série de vitraux destinées à l’église paroissiale de Sainte-Anne, rue Vulfran-Warmé. Ces productions sont encore visibles dans l’église et ont été inventoriées dans le patrimoine culturel de la région Haut de France.
Selon l’inventaire, certains vitraux auraient été produits pendant les années d’Occupation, d’autres plus tard. Parmi les premiers on compte “le sanctuaire de Lourdes” (1943) et le “Saint Antoine de Padoue prêchant aux poissons” (1944). En 1945 selon la datation de l’inventaire, fut achevé “Saint Louis rapportant la couronne d’épines” et “Les Racines Chrétiennes de la France.” Ce dernier comprend de nombreuses images montrant l’alliance de la monarchie et de la foi : Christ, Saint Pierre, Saint Jacques, le roi Clovis I, Charlemagne, Saint Louis, Louis XIII, Saint Thérèse, le pape Pie X – avec ces inscriptions : ENSEIGNEZ A TOUTES LES NATIONS/ 1908 PAROLES DE PIE X A L’EVEQUE D’ORLEANS/ “FRANCAIS FAITES VOS TESTAMENTS DE SAINT REMY/DE CHARLEMAGNE ET DE SAINT LOUIS/CHRIST ROI”
Au début de l’Occupation, l’atelier de Pierre Pasquier se trouvait au 11, rue Paul Sautai, une petite rue qui va de la rue St. Fuscien à la rue Charles Dubois. Mais au printemps 1943, Pasquier cherchait un lieu plus commode. Il s’intéressait à la maison du 53, rue St. Fuscien, propriété de Madame veuve DUCAS, née Julie WEIL Madame DUCAS, Israelite, est allée vivre pendant l’Occupation à CHÂTELLERAULT (Vienne) et plus tard à AIGUES-VIVES (Gard). Les Allemands avaient requisitioné son spacieux immeuble bourgeois, mais seulement jusqu’à une date determinée. L’administration français, à partir de cette date en 1943, voulait “aryaniser” la propriété et M. Paul REVAUX, qui avait de multiples charges similaires, fut nommé Administrateur Provisoire avec cette mission. Les architectes Maurice THOREL et Z. CARPENTIER, estimateurs accrédités de propriétés israélites, avaient fixé la valeur de la propriété à 340.000F. D’autres personnes que Pasquier voulaient soumissionner pour cet immeuble mais les Allemands s’opposaient à la visite de la population locale avant leur déménagement et les intéressées pour la plupart se décourageaient. Pourtant Pierre Pasquier était d’accord pour acheter la propriété à un prix réduit, établi par les autorités à 270.000 F. Comme tout soumissionnaire pour des “biens juifs” Pasquier et son épouse Simone PASQUIER née NORMAND devaient produire des documents attestant leur pure “aryanité” et celle de leurs ancêtres. L’achat fut accepté, homologué par les autorités et enregistré chez le notaire. Dès juin 1943, Pierre Pasquier, sa femme, leurs trois enfants et divers apprentis furent libres d’occuper la maison.
En septembre 1945, Madame veuve DUCAS est revenu d’exil. N’ayant jamais consenti à la vente de sa propriété, elle adressa une requête au gouvernement après la Libération pour la restitution de ses biens, qui fut pleinement accordée. Les PASQUIER ont dû déménager, rendre les clés et payer les frais de procédure. Il semble toutefois qu’il y eut un intervalle d’environ deux ans, entre juin 1943 et septembre 1945, au cours duquel le travail du verrier et de ses assistants sur les vitraux de l’église St. Anne, comme « Les Racines Chrétiennes de la France », auraient été poursuivis dans la résidence d’une propriétaire juive, injustement dépossédée.
Sources : AJ 38 5069.