La ville d’Amiens et Amiens métropole, sous les mandats de Brigitte Fouré, la Maire, et Alain Gest, le Président, ont beaucoup oeuvré ces dernières années pour la commémoration du sort tragique des juifs pendant l’Occupation. Les actions exemplaires qu’ils ont menées ont été soulignées récemment au cours d’une présentation de Mme Nedjma Ben-Mokhtar, Adjoint au Maire, lors du Second Sommet des Maires contre l’Antisémitisme, le 1er décembre 2022, à Athènes.
En dépit de ces progrès, une partie importante de l’histoire juive à Amiens sous l’Occupation n’a pas encore reçue la reconnaissance qui lui est due. Il s’agit de celles et de ceux que M. Lucien Aaron (lui-même survivant de la rafle du 4 janvier), avait nommés dans une liste après la guerre : les « Réfugiés dans la Somme». Il entendait par là les juifs qui ont fui l’Allemagne et l’Autriche nazies dans les années 1930. Un certain nombre d’entre eux sont arrivés à Amiens, souvent en passant par Paris, vers 1938 et ont reçu de l’aide du Comité de Bienfaisance de l’Association Cultuelle Israélite de la Somme. Cette aide devait également inclure un logement. Ainsi on vit beaucoup de réfugiés habiter l’une ou l’autre de deux adresses spécifiques : les numéros 11 et 15, Rue Pierre l’Hermite.
A la fin de 1940 après deux ans de résidence les réfugiés furent expulsés de la ville par les autorités allemandes et par Vichy. Certains se trouvaient dès lors à Paris, d’autres dans des camps de concentration du Loiret. Une douzaine de ces malheureux devaient être par la suite arrêtées, envoyés à Pithiviers ou Drancy et déportés dans des wagons à bestiaux à Auschwitz où ils périrent. Pourtant, leurs noms ne figurent sur aucun mémorial public à Amiens, ni même sur la plaque à la mémoire des déportés, «A Nos Martyrs», installée à partir de juin 1948 dans les synagogues successives d’Amiens.
Le récent décès de Mme Edith Fuchs, fille d’une de ces réfugiés, m’a rappelé avec force leur sort collectif et le déficit de mémoire officielle qui existe à leur égard.
Edith Fuchs naquit à Amiens le 3 mars 1940. Séparée de sa mère Cilly Affenkraut (photo ci-dessous), avant la déportation de celle-ci d’un camp de concentration, Edith fut adoptée par Simone et Maurice Lyon, un couple juif parisien aux ressources modestes. Elle est ensuite devenue normalienne, professeur agrégé de philosophie à Paris et auteur d’un livre magistral sur la corruption de la philosophie allemande par une idéologie partagée avec le nazisme.* Elle est retournée à Amiens pour la première fois à l’invitation de la communauté juive en juillet 2011 pour la commémoration du Vel d’Hiv Place René Goblet au cours de laquelle elle a exprimé des remarques personnelles émouvantes.
Pour Cilly Affenkraut ainsi que pour tous les réfugiés je désire que leur noms soient affichés publiquement quelque part à Amiens ou qu’une rue soit baptisée ou rebaptisée à leur mémoire : «Rue des Réfugiés Juifs du Nazisme» par exemple ou sinon, aux noms d’Edith Fuchs et de Cilly Affenkraut. A mon avis, il serait opportun que la rue Pierre l’Hermite, dans laquelle tant de réfugiés trouvèrent un asile (hélas temporaire), soit envisagée pour ce baptême. Pierre l’Hermite, prédicateur controversée de la fin du 11ème siècle, avait par ses sermons déclenché la Première Croisade, qui, selon les historiens, entraîna en premier lieu des massacres de nombreux Juifs -- femmes, hommes, et enfants -- dans les villes de la vallée du Rhin. Quelle ironie alors que les réfugiés juifs, voués à la destruction neuf siècles après, aient habité une rue qui porte son nom !
Pour une liste des réfugiés, leur addresse à Amiens et leur sort, voir l’Annexe ci-dessous,
* Edith Fuchs, Entre Chiens et Loups : Dérives politiques dans la pensée allemande du XXe siècle (Éditions du Félin, Paris, 2011)
Pour plus de renseignements sur les réfugiés et leur familles et sur Cilly Affenkraut et Edith Fuchs http://www.jewsofthesomme.com/new-page Pour quelques courtes vidéos sur les réfugiés http://www.jewsofthesomme.com/video-recordings
ANNEXE : LES JUIFS RÉFUGIÉS D’ALLEMAGNE ET D’AUTRICHE À AMIENS EN 1940 ET LEUR SORT : LISTE SOMMAIRE
AFFENKRAUT Cilly, 15, rue Pierre l’Hermite, née le 19 février 1909 à Leipzig (Allemagne), MORTE EN DEPORTATION, Convoi No. 6, 17 juillet 1942, Pithiviers à Auschwitz
AFFENKRAUT Edith, enfant, 15, rue Pierre l’Hermite, née le 3 mars 1940 à Amiens, SAUVÉE
REICHENBACH Liliane, enfant, 15, rue Pierre l’Hermite, née le 1 août 1937 à Paris, SAUVÉE
BECK Israel Herman, 11, rue Pierre l'Hermite, né le 8 juin 1889 à Vienne, célibataire, On ne voit pas qu’il a été deporté.
BLUMENFELD Ervin, 11, rue Pierre l'Hermite, né le 11 août 1905 à Vienne, célibataire. On ne voit pas qu’il a été deporté.
BRULL Julius 46, rue Le Nôtre, né le 27 avril 1882 à Vienne, éditeur (“Herausgeber”) MORT EN DEPORTATION, Convoi No. 57, 18 juillet 1943, Drancy à Auschwitz Date d’arrivée à Amiens incertaine
BRULL-LAUTERBACH Eléanor 1, rue Henri Daussy, puis 46, rue Le Nôtre, née le 23 avril 1899 à Brasso (Roumanie) On ne voit pas qu’elle a été déportée.
EPSTEIN née BERGER Irma, 15, rue Pierre l’Hermite, divorcée, née le 9 novembre 1894 à Vienne, MORTE EN DEPORTATION, Convoi No. 40, Drancy à Auschwitz
KAMMERMANN Paul 29, rue Blasset à Amiens, divorcé, mécanicien, né le 10 juin 1899 à Budapest DÉPORTÉ RENTRÉ Convoi No. 32, Drancy à Auschwitz
KATZENELLE Jacob 11, rue Pierre l’Hermite, né le 2 fevrier 1871 à Stanislaw (Pologne), MORT EN DEPORTATION, Convoi No. 67, 3 février 1944, Drancy à Auschwitz
KATZENELLE née WIESEL Charlotte 11, rue Pierre l’Hermite, née le 4 mai 1871 à Zuranow (Pologne), MORTE EN DEPORTATION. Convoi No. 67, 3 février1944, Drancy à Auschwitz
KLEPETAR née STEINER Alice 18, rue Duthoit, née le 2 février 1892 à Vienne MORTE EN DEPORTATION, Convoi No. 7, 19 juillet 1942, Drancy à Auschwitz
KOHN Michel (Misu), Amiens, puis Rubempré, médecin, né le 5 octobre 1909 à Bucharest (Roumanie), Expulsé du departement en decembre 1940, non déporté, rentré à Rubempre après la Liberation.
MAUNER Max, 11 rue Pierre l’Hermite, né le 21 septembre 1897 à Vienne, marié, MORT EN DEPORTATION, Convoi No. 26, 31 août 1942 Drancy à Auschwitz, avec sa femme Rosa et leur trois filles : Felicitas 18, Julia 17, et Liselotte. 10.
ROCHOCZ, Bernhard, 63, Chaussée St Pierre, né le 11 juillet 1878 à Volkmansdorf-bei-Leipzig, célibataire, On ne voit pas qu’il a été deporté.
SPETH, Max 11, rue Pierre l’Hermite, né le13 janvier1890 à Vienne MORT EN DEPORTATION, Convoi No. 40, 4 novembre 1942, Drancy á Auschwitz
STEINHART Kurt, 26 rue Debray, né le 19 décembre 1903 à Dresden (Allemagne) MORT EN DEPORTATION, Convoi No. 2, 5 juin 1942, Compiègne à Auschwitz
WOLKENSTEIN Alfred 18 rue Duthoit, manoeuvre, né le16 mars 1895 à Vienne MORT EN DEPORTATION, Convoi No. 12, 29 juillet 1942, Drancy à Auschwitz
Sources : "Liste des immigrants Allemands" Commissaire de Police, Chef de la Surété à Amiens. 10 septembre 1940, Archives municipale et communautaire d’Amiens (50 rue Riolen), 4 H 4 129; Registres des Declarations, AJ 38 5076 micro 568 à 573, Archives nationales de France et Archives Départementales de la Somme ; http://www.jewsofthesomme.com/new-page