J’aurais peut-être mieux aimé ne pas avoir vu cette lettre. Il est vrai que sa découverte a coïncidé parfaitement avec mes recherches sur les Juifs réfugiés de l’Est à Amiens dans les années 1939-40 et qu’elle m’a permis de résoudre un certain nombre de questions mineures que je me suis posé quant à la famille de Max Mauner, un des réfugiés venant de Vienne, confirmant que Rosa Mauner, son épouse et au moins une de leurs trois filles l’avaient accompagné lors de son bref séjour à Amiens. Néanmoins, cette lecture fut extrêmement pénible, associée comme elle l’était aux quelques éléments sur la famille que j’avais déjà recueillis.
La lettre se trouve maintenant aux archives et sur le site internet du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris. Elle fait partie d’une série de correspondances de Hersh Fenster, qui, selon la description, fut secrétaire au Foyer Amical, 41 rue Richer 75009 Paris en 1939-40. En cette qualité, il était en relation avec “des réfugiés allemands ou autrichiens ayant fui Paris en 1939 en cherchant une assistance en Province”. La lettre, adressée à M. Fenster par Rosa Mauner est datée du 27 juin [1939] et correspond parfaitement au contexte.
« Ein grosses Unglück uns ist passiert » - « Un grand malheur nous est advenu »
(Je résume à partir de l’orignal, écrit à la main, en allemand)
Amiens 27.VI
Mon cher M. Fenster
La femme de ménage a par négligence versé de l’eau très chaude sur la personne de ma plus jeune fille âgée de six ans. Elle est sérieusement blessée au niveau du visage et du torse. Il faut qu’elle reste au lit, le médecin lui rend visite chaque jour, ses pansements doivent être constamment changés. Les frais jusqu’ici ont été payés par le Comité [de Bienfaisance local] La petite souffre beaucoup. Vous m’avez aidé dans le passé, et je ne chercherais pas à vous solliciter encore une fois s’il ne s’agissait pas de mon enfant! Pouvez-vous contacter le Comité [à Amiens] - il est composé de gens de bien – et les encourager à continuer de nous aider? Je vous serais infiniment reconnaissante !
Rosa Mauner (signé)
Le séjour des Mauner à Amiens devait être de courte durée. Ni Max, recensé le 13 septembre 1940 à Amiens, ni sa famille étaient apparemment présents en octobre 1940 quand s’ouvrit “le registre des déclarations israélites.” Selon le Mémorial de la Shoah, Max, Rosa Mauner et leurs trois filles Felicitas, Julia et Liselotte (c’est cette dernière qui aurait subi le triste accident en 1939) demeuraient à Oradour-sur-Vayres (Haute Vienne) en 1942 et étaient internés dans un camp de concentration dans l’ Yonne (Rivesaltes ?) avant d’être finalement déportés par le convoi No. 26, le 31 août 1942 de Drancy à Auschwitz. Au jour de leur départ, Felicitas avait 18 ans, Julia 17 et Liselotte 10 ; Max Mauner avait 44 ans et Rosa Mauner 43 ans.
Peu à peu les visages des réfugiés juifs qui se sont installés à Amiens commencent à apparaître. Il est important de noter le progrès, mais nous n’avons pas encore fini de faire de sombres découvertes!
Post-scriptum :
Une deuxième lettre de Rosa Mauner, datée du 12 Juillet, 1939 et postée d’Amiens le 22, se trouve également sur le site du MahJ. Dans cette lettre, Rosa Mauner écrit que les blessures de sa fille ne l’inquiètent plus ; elle exprime sa gratitude d’avoir reçu d’un certain Dr. Lachenberg le “Wäsche" (linge, vêtements) dont elle avait besoin, et elle remercie M. Fenster chaleureusement pour son aide. L’adresse des Mauner à cette époque était 16, Place au Feurre à Amiens. Lorsque Max Mauner fut recensé en septembre 1940, l’adresse indiquée était 11, rue Pierre l’Hermite (voir image).
Notes:
- Lettres, Rosa Mauner à Hersh Fenster. Collection Hersh Fenster, Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, Paris, 27 Juin 1939 AR 1524.15.21 ; 22 Juillet 1939 AR 1524.15.19 (avec envelope).
- Residence à Oradour-sur-Vayre; internement dans l’Yonne; date de déportation, numéro du convoi, dates et lieux de naissances, Memorial de la Shoah, Centre de Documentation Juive Contemporaine en ligne, recherche de personne “Mauner”