Par David Rosenberg
Un ami amiénois, connaissant mon intérêt, m’a proposé un jour de rendre visite à sa grand-mère dans une maison de retraite près d’Amiens. Elle lui avait souvent parlé, disait-il, d’une camarade de classe de son enfance à Amiens dans les années 1930, une jeune fille juive du nom du Rachel.
Je ne me rendis compte au début de notre entretien de qui il se pouvait s’agir. La grand-mère avait environ 92 ans. Rachel a dû naître comme elle vers 1925. Elle se souvenait d’une personne un peu ronde, peu sportive, et maladroite au saut à la corde. C ‘était à l’École Lavallard, un « cours complémentaire. »
Elle m’explique qu’après la guerre elle avait demandé à une connaissance, membre de la famille Cario, ce qui était arrivé à Rachel et se vit répondre qu’elle était morte. La grand-mère de mon ami supposait que sa camarade de classe avait dû périr dans les camps. Cette triste nouvelle était associée à son souvenir d’une fille qui ne savait pas sauter à la corde. Bien sûr qu’elle ne pouvait pas survivre à la vie dans les camps, pensait-elle ! Cette réflexion avait entraîné une souffrance tout au long de sa vie lorsqu’ elle y pensait.
Nous avons fini par nous apercevoir qu’il s’agissait de Rachel HAÏTA, une des six enfants de Nissim Haïta et Grassia Haïta née Saidon, commerçants, immigrés de Turquie à Amiens vers 1930. Leur commerce de tissus, lingerie, bonneterie et confection se trouvait 42 rue de Beauvais, et leur maison 4 rue Péru Lorel. Leur fils Isaac avait fait sa bar-mitzvah dans la nouvelle synagogue d’Amiens en 1937. Je savais à partir de mes recherches que la famille avait dû quitter Amiens au debut de 1941 pour aller habiter provisoirement 75, Boulevard Voltaire, Paris 11ème mais Nissim fut arrêté au cours de la rafle dans le 11e arrondissement en août 1941 et interné à Drancy. Il ne fut pas déporté mais mourut des suites d’une maladie à Drancy le 23 mars 1942 à l’âge de 36 ans.
Pour informer la grand-mère de mon ami et avec l’espoir de la rassurer un peu, j’ai mentionné que les listes de convois de déportation n’incluaient aucun membre de cette famille et que plusieurs des sœurs de Rachel se marièrent après la guerre, à Amiens ou à Paris. Restait pourtant ce témoignage d’après-guerre…
C’est seulement plusieurs années après ma conversation avec la grand-mère de mon ami que l’on en apprit un peu plus sur le sort de Rachel Haïta. Par une lettre, écrite au Préfet de la Somme le 23 octobre 1942 Grassia demande de recevoir des subsides provenant de la vente de leurs propriétés (en train d’être aryanisés). En motivant sa demande elle offre ce triste témoignage:
75, Blvd Voltaire
23/10/1941
Monsieur,
J’ai reçu une lettre de mon Commissaire Gérant, Mr. COTTE, 95, rue Delpech à AMIENS (Somme), me disant qu’il ne peut m’envoyer des subsides sans votre autorisation. Ainsi je me vois dans l’obligation de vous demander votre autorisation car je ne peux travailler ayant 5 enfants à charge et je viens de perdre dernièrement mon mari qui est mort à DRANCY à l’âge de 36 ans ainsi que ma fille à l’âge de 16 ans. Sinistrée d’AMIENS et ayant perdu tout dans cette guerre : mes biens, mon mari, et ma fille, les êtres qui me sont les plus chers, je suis sans ressources. C’est la raison pour laquelle je vous adresse cette demande dans l’espoir que vous le donnerez une suite favorable.
Agréer, etc. signé HAÏTA [Mme]*
La jeune fille décédée mentionnée dans la lettre serait Rachel Haïta, née le 30 octobre 1925 à Paris, celle dont la grand-mère se souvenait. La lettre n’offre pas plus de détails. Sa mort se situe au cours de la période marquée par l’internement et l’hospitalisation de son père. A-t-elle vécu assez longtemps pour apprendre la nouvelle de son décès ? J’ai transmis ces renseignements et le mystère encore non résolu de son décès à mon ami pour les partager avec sa grand-mère.
ADDED NOTE 01/10/2022
Selon Lisa Vakil, une arrière petite fille de Nissim Haïta, Rachel serait morte à Paris d’une meningite. La notice du déces que Mme Vakil m’a voulu bien me transmettre est du 11 juillet 1942.
NOTES
*Copie de la lettre de Grassia Haïta au Préfet, AJ 38 5079-81 micro 3275