Désespéré, Nissim Haïta demanda au Préfet de la Somme l’autorisation d’être photographe. Né en Smyrne, Turquie, comme l’était son épouse Grassia, ils sont venus en France en 1924 et à Amiens en 1929 ou 30. Ils avaient six enfants : Isaac né à Smyrne (il fit sa bar-mitzvah en 1937 dans la synagogue d’Amiens), Rachel et Anna nées à Paris, et Sara, Jacqueline, et Jeannine nées à Amiens. Ils établirent rue de Beauvais dans les années 1930, un commerce de tissus, lingerie, bonneterie, et confection à l’enseigne “Au Bradeur.” En mai 1940 les bombardements allemands détruisirent le magasin. Haïta érigea un baraquement sur l’emplacement et s’efforça de faire tourner l’affaire.
Les autorités avaient une autre idée. Déterminées à « aryaniser » les commerces qui étaient la propriété des Israélites, elles décrétèrent entre autres la liquidation de « Au Bradeur. » Monsieur Gense, le commissaire gérant, le traita d’ « affaire d’origine parasitaire ». Nissim Haïta passa quelques semaines, forcément tristes, voyant son stock vendu à bas prix et dont il ne devait toucher qu'une infime partie de sa valeur.
Entre-temps et provisoirement il fit installer sa famille à Paris, au 75, Boulevard Voltaire (11eme arr.). Dans les premiers mois de 1941 la liquidation de son commerce et la vente de ses licences commerciales à Amiens devenant définitives, il ne vit pas de meilleur recours que de devenir photographe et de sillonner les marchés du département de la Somme pour gagner sa vie. Si cela réussissait, le retour des siens à Amiens serait envisageable.
Le Préfet de la Somme, M. Pelletier, écrivit aux autorités militaires allemandes relayant la requête de M. Haïta. Est-ce que la Feldkommandantur voyait un inconvénient à ce que cette permission soit accordée à M. Haïta ? La décision des autorités militaires allemandes fut plutôt négative. Dans une correspondance du 28 avril 1941 les autorités indiquaient que la possibilité pour un ex-propriétaire juif de devenir cordonnier dans un lieu où il y avait un manque de tels artisans était concevable, mais la permission accordée pour devenir photographe ne l’était point.
Quatre mois plus tard en août 1941, Haïta fut arrêté en Paris au cours de la rafle du 11ème arrondissement. Envoyé à Drancy, il fut hospitalisé en novembre 1941 pour maladie puis renvoyé à Drancy le 6 mars 1942. Toujours malade, il est mort à Drancy le 23 de ce mois à l’âge de 36 ans.
Les souffrances de la famille après cet événement tragique se firent sentir dans une lettre écrite par Grassia au Préfet de la Somme Gaston Mumber en octobre 1942. Elle demanda au Préfet que les subsides qui lui étaient dus pour les propriétés en cours d’aryanisation lui soient remis. Elle faisait référence à la mort de son mari, et aussi à celle d’une de leurs filles, âgée de 16 ans. (Cette fille serait donc Rachel, l’enfant née en 1925).
Un autre document, celui-ci du 30 décembre 1944 fait référence à deux enfants décédés dans cette famille. Selon Lisa Vakil, une arrière petite fille de Nissim Haïta, Rachel serait morte d’une meningite et l’enfant décédée en plus de Rachel est Françoise, morte à 6 mois. Isaac, le seul fils et l’aîné de la famille, serait décédé en 1945.
Les quatres autres enfants, trois filles nées à Amiens et une fille, Anna, née à Paris, ont tous survécus à la guerre: Sara Haïta se maria en 1954 à Amiens; Jacqueline se maria en 1952 à Paris; et Jeannine se maria en 1961 à Paris. Cette dernière remplit une “feuille de témoignage” pour Yad Vashem en l’an 2000, fournissant une petite photo de son père, la seule image de Nissim Haïta que l’on possède.
Notes: Famille, Registre de déclarations des israélites, Amiens, octobre 1940 et état civil ville d’Amiens ; “affaire d’origine parasitaire”, AJ 38 5072 2821, 8 jan 1941 (Louis Gense au Prefet) ; refus de permission d’exercer la photographie (Dr. B[auch] au Préfet, AJ 38 5073 2806, 28 avril 1941 ; copie lettre Grassia Haita au Préfet Mumber, AJ 38 5079-81 micro 3275, 23 octobre 1942; deux enfants perdus AJ 38 5084/2413, 30 décembre 1944. Voir aussi une lettre très peu humaine de M. Gense au Préfet AJ 38 5084-85, 23 septembre 1941 transcrite sur ce site http://www.jewsofthesomme.com/new-page-3 .
David Rosenberg, Pittsburgh, Pa.