En juillet 2011, j’ai découvert le brillant ouvrage de Patrick Modiano Dora Bruder. Tant d’aspects de cette enquête/mémoire m’interpellaient d’autant plus que je me trouvais engagé à cette époque dans des recherches similaires concernant les Juifs de la Somme.
A un certain moment, l’auteur, qui cherche plus de renseignements sur la fugue de l’adolescente Dora en 1941-42, consulte les archives de la Préfecture de Police à Paris pour voir si l’enregistrement d’une audition entre Ernest Bruder, père de Dora, et le Commissaire de Police du quartier de Clignancourt aurait laissé plus qu’une simple mention. Mais le procès verbal n’a pas survécu et Modiano est incité à commenter la destruction de ces précieux témoignages historiques :
« Sans doute, détruisait-on, dans les commissariats, ce genre de documents, à mesure qu’ils devenaient caducs. Quelques semaines après la guerre, d’autres archives des commissariats ont été détruites, comme les registres spéciaux ouverts en juin 1942, la semaine où ceux qui avaient été classés dans la catégorie « juifs » ont reçu leurs trois étoiles jaunes par personne, à partir de l’âge de six ans. Sur ces registres étaient portés l’identité du « juif », son numéro de carte d’identité, son domicile, et une colonne réservée à l’émargement devait être signée par lui après qu’on lui eut remis ses étoiles. Plus d’une cinquantaine de registres avaient été ainsi ouverts dans les commissariats de Paris et de la banlieue ». (Editions Gallimard, collection folio, 1999, p. 76).
Cette observation devait avoir pour moi avec les années un retentissement particulier. Une visite aux Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine en août 2014 m’a permis de découvrir la Sous Série AJ 38, Archives du Commissariat Général aux Questions Juives et précisément l’un de ces registres d’étoiles jaunes, non pour Paris, mais pour Amiens.
La brutalité de la conception de ce document, qui a sans doute incité Modiano à décrire sa structure même en l’absence des documents eux-mêmes, m’a conduit à écrire un article qui voulait évoquer son contexte dans la Somme. Plus tard dans un dossier de la Sous préfecture d’Abbeville, j’ai trouvé une page où les juifs de cette circonscription ont dû « émarger » pour obtenir leurs étoiles et une autre où le Sous-préfet proposait d’envoyer leurs points de textile au préfet.
La présence des registres de l’étoile jaune pour Amiens et la Somme ainsi que leur absence apparente pour Paris et sa banlieue suscite cette réflexion. Dans combien de juridictions de la France est-ce que ces registres d’étoile jaune existent et combien sont incomplets? A-t-on pensé à entreprendre un sondage à l’échelle de la Nation ?
J’ai eu la même curiosité concernant un autre document type qui se situe au vrai centre de ce projet : les fiches avec photos de juin 1942 créés en même temps que le registre de l’étoile jaune pour Amiens et trouvées d’abord dans les dossiers de la Préfecture de la Somme avant d’être transférées, comme celui-ci, à Paris en Novembre 1945. Ces fiches curieusement semblent avoir été faites à la requête du Ministere des Finances, Service national des Statistiques, Direction Régionale de Rouen ! J’ai communiqué avec quelques archivistes et organismes hors de la Somme pour savoir s’ils détiennent des fiches/photos similaires mais jusqu’ici sans résultât.
Il y a des documents qui demandent à être « ouï » pour ainsi dire et qu’il ne faut absolument pas laisser languir dans les archives. La presence des fiches/photos et des registres de l’étoile jaune dans la collection AJ 38 permet de mieux comprendre le tournant pour les juifs de la Somme qui fut le printemps de 1942. Les lettres de plusieurs d’entre eux dans le même fonds,laissent entendre à cette epoque leur angoisse.
LETTRES EN FRANÇAIS, DEUXIÈME SÉRIE
L’ÉTOILE JAUNE DANS LA SOMME: MISE EN PLACE ET RÉSISTANCE (article)